Amphitryon, Kleist

Publié le par Guenièvre

"SOSIE.

                                              La vérité.

Je veux bien ne plus vivre, maître, si je vous mens.

Ce Moi était parvenu là plus tôt que moi,

Et ma foi, en l'occurrence j'étais là

Avant que je ne sois arrivé.

AMPHITRYON.

D'où vient ce bavardage insensé? Ce charabia?

Est-ce une rêverie? Une ivresse?

Un trouble du cerveau? Ou bien une plaisanterie?

SOSIE.

Je suis sérieux, maître, et vous allez

Accorder foi à ma parole d'honneur,

Si vous le voulez bien. Je vous jure,

Que le Moi qui est sorti du camp, seul et unique,

Etait double en arrivant à Thèbes;

Que je me suis rencontré moi-même avec stupeur;

Que ce Moi qui est là devant vous,

Epuisé de fatigue et de faim,

A trouvé l'autre qui sortait de la maison,

Frais et dispos, un diable d'homme"

 

(Amphitryon KleistActe II, scène 1) Un siècle et demi après Molière, la version de Kleist de cette histoire immémoriale où les dieux se sont faits les doubles des hommes.

Extrait de la traduction de Ruth Orthmann et Eloi Recoing, disponible dans l'intégrale des pièces de Kleist des éditions Babel.

 

             Mon avis: Kleist a pris soin de le préciser: il s'agit d'une réécriture de la pièce de Molière. Et pendant toute la première moitié de la pièce, cela sent... La moindre parole, le moindre comique lui ont été emprunté: je me suis dit que cette version manquait un peu d'originalité. Cela m'a d'autant plus gênée que, Kleist étant allemand, et ma connaissance de cette langue à peu près nulle, j'ai dû me rabattre sur une traduction (par ailleurs excellente). J'avais donc le sentiment de lire la traduction (en vers libre, très élégante) en français de la traduction en allemand du mythe d'Amphitryon tel que l'a raconté Molière dans sa pièce... Bref, un léger sentiment de déjà-vu m'a assaillie...

Et puis, alors que l'intrigue se noue, on note quelques points d'originalité. Par exemple, le caractère d'Alcmène était complètement différent, plus proche de celui qu'elle manifeste dans Amphitryon 38, de Giraudoux. Alors que chez Molière, elle se borne à être outragée des soupçons infondés de son époux, ici ses actions révèlent un amour profond pour lui. Elle est torturée par le doute qui s'installe... Jupiter est aussi un peu plus manipulateur. C'est pour ces deux raisons, et aussi parce qu'Amphitryon m'est apparu comme un colérique capricieux, que j'ai trouvé la fin invraisemblable, une sorte de queue de poisson... C'est un peu plus amer, on garde le sentiment que tout ne s'est pas arrangé, comme c'est le cas dans les autres versions que j'ai lues.

Enfin, pour ce qui est de l'écriture, je ressors de ce livre plutôt satisfaite: la traduction en français était décidemment très bonne, les vers libres, harmonieux, étaient d'un vocabulaire courant et débarrassé de toutes les tournures étranges du XVIIIème siècle français. Cela rendait la pièce beaucoup plus vivante, et les comiques bien plus divertissants. La détresse des personnages m'a aussi plus touchée, je m'en suis sentie plus proche...  

J'ai donc bien aimé cette pièce de théâtre; malgré son manque d'originalité, je ne regrette pas de l'avoir ouverte. D'ailleurs, je me plongerai dans une autre pièce de Kleist à la première occasion.

 

Publié dans Classiques

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