Tous les hommes sont mortels, Simone de Beauvoir

Publié le par Guenièvre

Tous les hommes sont mortels, Simone de Beauvoir

Le titre de ce roman m’a toujours beaucoup intriguée. Comment faire un livre de 500 pages en partant d’un postulat aussi évident ? En prenant le contrepied de cette vérité absolue ; en inventant un homme immortel.

Fosca est un seigneur du XIVe siècle qui a de grands desseins pour sa cité italienne, Carmona. Il veut assurer la prospérité et le bonheur de ses habitants. Pour mener à bien ce projet, il boit un élixir d’immortalité. Le voilà donc avec tout le temps nécessaire pour concrétiser ses idéaux.

Mais au fur et à mesure que les années passent, que les gens meurent, il se retrouve seul face à l’histoire, éternel recommencement. Son existence même perd son sens lorsqu’il échoue à concrétiser ses rêves, ou plutôt lorsqu’il prend conscience de leur vacuité.

L’auteur démontre donc une thèse philosophique : seule la mort donne tout son sens à la vie.

L’écriture de l’auteur est fluide, mais ne représente pas le principal apport de ce livre. C’est un roman qui fait beaucoup réfléchir. Le début l’illustre à la perfection. Ces premières pages m’ont fait l’effet d’un dialogue de théâtre de l’absurde. Des demi-sens, contre sens, et des sous-entendus à foison ; le tout formant un écheveau impénétrable.

Cette introduction m’a un peu désarçonnée, et j’ai craint que le reste du livre soit de la même eau. Heureusement, tel n’est pas le cas ; et lorsque Fosca commence à raconter son histoire, on retrouve une narration plus classique. Les pages défilent, j’ai lu avec avidité ce récit perturbant.

Il nous retrace toute l’évolution d’un homme qui est devenu inhumain. D’un homme vivant pour l’éternité, mort dans l’éternité, noyé dans le temps qui évolue autour de lui, sans lui. On suit ses combats, ses passions, on assiste à la disparition de tous ses désirs et illusions, de tous ses espoirs… Ne reste que la vie, privée de tout ce qui fait son prix. Une existence où jour après jour on regarde le même soleil se lever, se coucher, la même lune et les mêmes étoiles briller dans le ciel. On regarde sans plus agir, passif, inactif.

C’est un récit très dérangeant, qui peu à peu se peuple de vide, au fur et à mesure que Fosca comprend ce qu’est la vie, ce qui la rend si chère aux hommes. Il comprend également combien tous ses rêves étaient vains, et les délaisse en même temps que son humanité. La vanité même des actions humaines, rendue inévitable par leur mortalité, est ce qui donne aux hommes la possibilité de vivre.

En bref, une réflexion philosophique très intéressante. La démonstration est assez transparente pour ne pas nécessiter qu’on cherche le sens caché du roman, ce que je trouve appréciable.

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Citations

« Il faut beaucoup de force, dit-il, beaucoup d’orgueil, ou beaucoup d’amour pour croire que les actes d’un homme ont de l’importance et que la vie l’emporte sur la mort. » p 96

« - Un des moines hérétiques que nous avons fait brûler m’a dit avant de mourir : il n’y a qu’un seul bien, c’est d’agir selon sa conscience. Si cela est vrai, il est vain de vouloir dominer la terre ; on ne peut rien pour les hommes, leur bien ne dépend que d’eux-mêmes. » p 313

« Ce n’est pas le bonheur qu’ils veulent :

- Qu’est-ce que vivre ? dit Charles.

Il secoua la tête.

- Cette vie n’est rien. Quelle folie de vouloir dominer un monde qui n’est rien !

- Par moment il y a un feu qui brûle dans leurs cœurs ; c’est cela qu’ils appellent vivre. » p 314

« Ce qui a du prix à leurs yeux, ce n’est jamais ce qu’ils reçoivent : c’est ce qu’ils font. S’ils ne peuvent pas créer, il faut qu’ils détruisent, mais de toute façon ils doivent refuser ce qui est, sinon ils ne seraient pas des hommes. Et nous qui prétendons forger le monde à leur place et les y emprisonner ils ne peuvent que nous haïr. Cet ordre, ce repos dont nous rêvons pour eux serait la pire malédiction. » p 315

« Nous n’avons pas à attendre que l’avenir donne un sens à nos actes ; sinon toute action serait impossible. Il faut mener notre combat comme nous avons décidé de le mener, c’est tout ». p 480

« Ce n’étaient ni des orgueilleux, ni des fous, je le comprenais à présent. C’étaient des hommes qui voulaient accomplir leur destin d’homme en choisissant leur vie et leur mort, des hommes libres. » p 481

« Les morts étaient morts ; de ce passé mort, les vivants faisaient un présent brûlant ; les vivants vivaient. » p 500.

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L
Simone de Beauvoir est un classique mais QUEL classique ! Ce livre j'ai lu au lycée il me semble, mais tu m'as donné l'envie de le relire ! ;)
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G
Tant mieux, tant mieux! C'est un peu le but! ;)<br /> On ne m'avait jamais parlé ou demandé de lire ce livre en particulier, c'est donc la curiosité qui m'a poussée à l'ouvrir. Ce doit être intéressant de pouvoir l'étudier en détail!